Voir & Être vu
Réflexions sur le champ scopique dans la littérature et la culture européennes
Études réunies et présentées par Peter Schnyder et Frédérique Toudoire-Surlapierre
Mechthild Albert, Ouvrage collectif, Muriel Berthou-Crestey, Peter André Bloch, Serge Bourjea, Dominique Brancher, Marielle Chauvin, Cédric Corgnet, Mariette Cuénin-Lieber, Iosif Felvinti, Sandrine Gualandi, Ophélie Hetzel, Fabrizio Impellizzeri, Marie Joqueviel-Bourjea, Noémi Kila, Thomas Klinkert, Olivier Larizza, Jérémie Majorel, Neila Manaï, Louis-Antony Martinez, Dominique Meyer-Bolzinger, Cristina Noacco, Claude Nosal, Peter Schnyder, Isabelle Smadja, Astrid Starck-Adler, Gerald Stieg, Frédérique Toudoire-Surlapierre, Magalie Wagner, Éric Wessler, Thomas Zenetti, Jean-Pierre Zubiate
Voir & être vu est le pari audacieux d'élaborer une étude du regard, et donc de l'altérité, au sein de la culture et de la littérature européennes. Cette question nous concerne tous, et touche une majorité de thèmes existentiels liés à l'Autre. Entre apparences et invisible, le regard posé sur une grande variété d'œuvres forge une image globale de la question des représentations visuelles. Par les mythes du regard, ses jeux en littérature, ses variantes artistiques, on redécouvre cette notion qui habite et habille notre culture européenne.
Illustration de couverture : Éric Rondepierre, Agendas (2008)
Quatrième de couverture
Ce livre explore les nombreuses possibilités esthétiques du voir et de l’être vu dans leur interaction symétrique et réciproque. Même s’ils sont rarement équivalents, ils renvoient en effet au principe fondateur de notre rapport à l’autre, depuis le regard jubilatoire et trompeur jusqu’à la vision angoissée de l’effroyable ou du monstrueux. Jouant des modalités du visible et de l’invisible, cette dialectique est faite d’échanges, de dénis, de projections et de détournements dont les contributions de ce volume analysent les différentes modalités, selon qu’il s’agit d’œuvres littéraires, théâtrales ou cinématographiques, de ballets de cour, de photographies, de documentaires anthropologiques ou encore de chansons populaires. Et c’est de l’exploitation de la multiplicité de ces représentations visuelles que le voir et l’être vu tirent un savoir qui nous regarde.
Sont ici réunies les contributions de Mechthild Albert, Muriel Berthou- Crestey, Peter André Bloch, Serge Bourjea, Dominique Brancher, Marielle Chauvin, Cédric Corgnet, Mariette Cuénin-Lieber, Iosif Felvinti, Sandrine Gualandi, Ophélie Hetzel, Fabrizio Impellizzeri, Marie Joqueviel-Bourjea, Noémi Kila, Thomas Klinkert, Olivier Larizza, Jérémie Majorel, Louis-Antony Martinez, Dominique Meyer- Bolzinger, Neila Manaï, Cristina Noacco, Claude Nosal, Peter Schnyder, Isabelle Smadja, Astrid Starck, Gerald Stieg, Frédérique Toudoire-Surlapierre, Magalie Wagner, Eric Wessler, Thomas Zenetti, Jean-Pierre Zubiate.
Peter SCHNYDER & Frédérique TOUDOIRE-SURLAPIERRE – Avant-propos
Frédérique TOUDOIRE-SURLAPIERRE – Quelques mots pour voir
L’AURA DES MYTHES
Dominique BRANCHER – Figure du médecin en Actéon
Fabrizio IMPELLIZZERI – Actéon ou le paradoxe du voyeur. Analyse intersémiotique du récit mythologique de Klossowski
Magalie WAGNER – Le mythe de Diane et Actéon : réécritures masculines / réécriture féminine
Cristina NOACCO – Peut-on voir la métamorphose à l’œuvre dans la littérature française du Moyen Âge ?
LES FOCALISATIONS INDIRECTES
Cédric CORGNET – Voir l’artifice : les charmes d’une société scopique ou la critique optique de La Bruyère
Mechthild ALBERT – Aspects du champ scopique chez Stendhal
Thomas KLINKERT – Voir sans être vu : la scène du voyeur chez Proust
Gerald STIEG – « Jeux de regard » et « Aveuglement ». Œil et regard chez Canetti
Iosif FELVINTI – Quand les regards font l’intrigue. Un aperçu de Daisy Miller
Serge BOURJEA – Paul Valéry : « je me voyais me voir... »
Jérémie MAJOREL – Celui qui ne m’accompagnait pas de Blanchot : les trois baies
JEUX DE REGARDS
Olivier LARIZZA – Charles Robert Maturin ou le sacrilège du regard
Louis-Antony MARTINEZ – L’Imaginaire et le Réel dans Karain : A Memory de Conrad
Dominique MEYER-BOLZINGER – L’hypertrophie du voir dans les récits d’investigation
Noémi KILA – Antagonismes visuels dans les romans de Ramuz
Sandrine GUALANDI – Complexité du regard dans les récits de Gracq. Entre topos de la rencontre et errance imaginaire : du ravissement à la connaissance
Neila MANAÏ – Le sujet voyant-voyeur dans La Jalousie de Robbe-Grillet
Peter SCHNYDER – Ce que la poésie donne à voir
Marie JOQUEVIEL-BOURJEA – Ce n’est plus à voir : c’est à dire. Marie Étienne, Les Soupirants
VARIÉTÉS DU CHAMP SCOPIQUE
Mariette CUÉNIN-LIEBER – Voir et être vu : le ballet de cour
Claude NOSAL – « Porteurs de vu » et expériences imagétiques Le « donné à voir » du jamais vu
Jean-Pierre ZUBIATE – Entre Orphée et Narcisse : le spectacle de chanson sous les projecteurs
Isabelle SMADJA – Le regard de l’autre : évaluation silencieuse, évaluation dangereuse
Marielle CHAUVIN – La vision sub specie aeternitatis chez Wittgenstein
Éric WESSLER – L’angoisse de se voir chez Beckett
SUREXPOSITIONS DE L’ART
Peter André BLOCH – La duplicité du regard : voir et être vu. Nietzsche et ses conséquences : Frisch et Dürrenmatt
Thomas ZENETTI – L’œil de l’ange – Regard sur l’histoire allemande et vision du cinéma dans Les Ailes du désir de Wenders
Astrid STARCK-ADLER – « Les tableaux-miroirs » : Richter, Pistoletto, Bäckström
Muriel BERTHOU CRESTEY – Visions phautoscopiques
Ophélie HETZEL – Du visible comme invisible : petite mythologie de la transparence
Actéon ou le paradoxe du voyeur
Analyse intersémiotique du récit mythologique de Pierre Klossowski
[...] je suis déjà quelque chose d’autre, en ce sens que je me sens moi-même devenir un objet pour le regard d’autrui. Mais dans cette position, qui est réciproque, autrui aussi sait que je suis un objet qui sait être vu [...] dans ce double regard qui fait que je vois que l’autre me voit, et que tel tiers intervenant me voit vu. Il n’y a jamais une simple duplicité de terme. Ce n’est pas seulement que je vois l’autre, je le vois me voir, ce qui implique le troisième terme, à savoir qu’il sait que je le vois.
Toute l’inspiration érotique de Pierre Klossowski passe par la vue, par un champ de vision de l’image qui se partage entre la vision intérieure et la vision extérieure des corps sur lesquels fixer et projeter le désir sexuel. Pour Klossowski, la vision érotique se partage sans cesse entre le voir et l’être vu ; en une puissante complicité physique et psychologique entre le voyeur et l’exhibitionniste. Un langage du corps et de l’esprit qui communique la perversion de voir, de pénétrer, de toucher par le regard le corps de l’autre, et l’envie d’être dévêtu et touché par ce regard même. Dans l’œuvre de Pierre Klossowski, le paradoxe de la présence / absence, du voir et être vu, est spécialement représenté dans Le Bain de Diane daté de 1956. Cette œuvre nous fournit les éléments pratiques et « figurés » des enjeux de l’acte de contempler et de ceux du donner à voir. Le tableau (illustrations à la mine de plomb et aux crayons de couleurs) et l’écriture, dans leur « mise en image » des scènes érotiques, se proposent en tant que surfaces magiques et miroitantes d’un véritable enjeu fantasmatique de l’auteur et du lecteur. La « perversion » des deux sujets protagonistes du mythe se joue ainsi entièrement sur l’exhibitionnisme de Diane et le voyeurisme d’Actéon, mais comme tout paradoxe l’axiome se renversera dans ses contraires comme témoigner du penchant « pervers » que ceux-ci incarnent. Diane se transforme en voyeur, car elle devine le désir d’Actéon, et Actéon se « métamorphose » en exhibitionniste, car vu, découvert et puni dans son infraction.
Dans Le Bain de Diane, nous assistons, tout comme Actéon, à la vision théophanique du corps de la déesse. Un corps qui se révèle et qui s’élabore dans l’imagination d’Actéon. Pour « éclaircir » la mise en image par le stratagème démonique, Klossowski suppose que Diane pactise avec un « démon intermédiaire entre les hommes et les dieux »
comme il le dit dans les termes de la théologie platonicienne :
Par son corps aérien, le démon simule Diane dans sa théophanie, et inspire à Actéon le désir et l’espoir insensé de posséder la déesse. Il devient l’imagination d’Actéon et le miroir de Diane. C’est ce démon de Diane qui s’insinue dans l’âme d’Actéon, qui l’oppose à son ombre, qui le détache de sa légende, et lui enseigne la notion de l’impassibilité [...] les démons sont ou bien médiateurs entre les dieux et les hommes, ou bien – et c’est le cas le plus fréquent – ils ne sont que les masques, les mimes qui jouent leur rôle. Dans les deux cas ils simulent les dieux, et parfois, quand ces derniers se sont retirés dans leur impassibilité [...], indifférents à ces êtres qui se confondaient un instant avec eux, ces histrions démoniaques continuent à les contrefaire [...]. En fait les démons n’ont pas de sexe défini : ils peuvent grâce à un corps d’une souplesse, d’une subtilité infinies, donner leurs formes à des dieux très divers, et leur corps est d’une morbidesse si merveilleuse qu’il convient admirablement aux déesses.
C’est par le biais de ce démon que Diane « s’incarne », qu’elle peut prendre un corps aux apparences de femme mortelle, visible et palpable ; et c’est sans doute aussi par le biais du même stratagème que Klossowski parvient à « illustrer » l’invisible-indicible. Mais Artémis n’obtient pas seulement une apparence capable de provoquer le désir des hommes, elle
regarde donc dans ce miroir démoniaque et devient ainsi l’objet de l’imagination d’Actéon [...] elle réfléchit sa divinité féminine dans un corps qu’elle veut visible, mais palpable autant qu’inviolé ; mais violable autant que chaste. [...] mais [encore] spectatrice – car Diane plus que les autres dieux, a le goût de spectacle –, elle assiste à ses propres aventures – aventures où sa chasteté est mise à l’épreuve.
Le commentaire de Klossowski du mythe de Diane et Actéon est utile pour démontrer et donc « dénuder » l’enjeu de l’image, du voir et de l’être vu, et aussi de celui qui exhibe ses visions mentales par la peinture ou l’écriture. L’œuvre est le lieu révélateur de l’invisible et de l’indicible, elle est pour le lecteur-contemplateur-voyeur, ce que Diane est pour Actéon.
[...]
Fabrizio IMPELLIZZERI
- Date de parution : février 2011
- Dimensions : 22,4 cm x 14 cm
- ISBN-13 : 978-2-913764-46-0
- Nombre de pages : 456
- Poids : 580g
- Reliure : Broché