Les lieux du réalisme
Pour Philippe Hamon
Textes réunis et présentés par Vincent Jouve et Alain Pagès
David Baguley, Mieke Bal, Ouvrage collectif, Colette Becker, Philippe Berthier, Éric Bordas, Régine Borderie, Peter Brooks, Jean-Louis Cabanès, Dominique Combe, Antoine Compagnon, Daniel Compère, Béatrice Didier, Silvia Disegni, Jacques Dubois, Jacques Dürrenmatt, Antonia Fonyi, Charles Grivel, André Guyaux, Anne Herschberg Pierrot, Vincent Jouve, Liesbeth Korthals-Altes, Jean-Pierre Leduc-Adine, Robert Lethbridge, Olivier Lumbroso, Boris Lyon-Caen, Stéphane Michaud, Henri Mitterand, Georges Molinié, Jacques Noiray, Philippe Ortel, Alain Pagès, Dominique Pety, Chantal Pierre-Gnassounou, Claude Reichler, Pierre-Louis Rey, Daniel Sangsue, Sophie Spandonis, Paolo Tortonese, Alexandrine Viboud, Marie-Ange Voisin-Fougère, Adeline Wrona
Les Lieux du réalisme, hommage à l'œuvre critique de Philippe Hamon, met l'accent sur la diversité des approches et des points de vue. On y aborde les schémas établis dans la représentation du réalisme, ainsi qu'une remise en question de ces codes. Une partie dédiée à l'ironie littéraire, thème inaccoutumé dans l'analyse de cette notion, en enrichit la critique.
Quatrième de couverture
Cet ouvrage, qui entend rendre hommage à l’œuvre critique de Philippe Hamon, réunit trente-huit contributions.
Dans le prolongement des recherches conduites par Philippe Hamon, les auteurs explorent les « lieux » – espaces, figures, topoï – où se construit le récit réaliste. Cette problématique commune permet de jeter un éclairage original sur les grandes questions de la poétique : l’« architecture » de l’œuvre et son contexte, le narratif et le descriptif, le personnage et son habitat, les « lieux communs » de la parole sociale et leur dénonciation par l’ironie. Le volume s’interroge, pour finir, sur les limites de l’esthétique réaliste, cherchant à percevoir ses points de fuite dans l’espace littéraire du XIXe siècle.
Professeur à l’université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle, Philippe Hamon dirige le Centre d’études sur Zola et le naturalisme (ITEM, CNRS). Il est l’auteur de nombreux essais littéraires portant sur les problèmes de la poétique du récit et sur l’esthétique du roman réaliste et naturaliste : Introduction à l’analyse du descriptif (1981), Le Personnel du roman : le système des personnages dans Les Rougon-Macquart d’Émile Zola (1983), Texte et idéologie (1984), Expositions. Littérature et architecture au XIXe siècle (1989), La Description littéraire (1991), L’Ironie littéraire : essai sur les formes de l'écriture oblique (1996), Imageries : littérature et images au XIXe siècle (2001), Dictionnaire thématique du roman de mœurs – 1850-1914 (2003).
Alain Pagès, Avant-propos
I. Poétiques du récit
Philippe Ortel, Dispositifs, discours, valeurs
Henri Mitterand, Abymes zoliens
Colette Becker, Le collage, tremplin pour l’invention
Olivier Lumbroso, Formes du métatexte et métatexte de la forme
Silvia Disegni, De quelques remarques sur Zola et Aristote
II. Du descriptif
Paolo Tortonese, Zola, l’homme et les choses
Dominique Pety, L’âme des choses
Claude Reichler, Les descriptions météorologiques
Béatrice Didier, Paradoxes de la description chez George Sand
Robert Lethbridge, Passages zoliens
Jean-Pierre Leduc-Adine, L’escalier de Pot-Bouille
Adeline Wrona, Vitraux naturalistes
Mieke Bal, L’éthique de la description
Dominique Combe, Poésie et description
Chantal Pierre-Gnassounou, Quand la description passe mal...
III. L’effet-personnage
David Baguley, Le personnel de La Débâcle
Sophie Spandonis, Véronique ou l’extinction des voix
Jacques Dubois, Julien Sorel déconstruit
Daniel Sangsue, Pour une typologie du personnage fantomatique
Antonia Fonyi, Le moi et son cortège d’imagos
Régine Borderie, Pièces détachées
Peter Brooks, Signes d’identité et paradigme indiciel
IV. L’ironie littéraire
Anne Herschberg Pierrot, Ironie et érudition
Jean-Louis Cabanès, Bonhomies zoliennes
Marie-Ange Voisin-Fougère, La crise du rire au XIXe siècle
Stéphane Michaud, Les saturnales du romantisme allemand
Jacques Dürrenmatt, Töpffer et le trait ironique
Liesbeth Korthals Altes, Plaisirs de la lecture ironique
Éric Bordas, Ironie de l’ironie
V. Le réalisme en question(s)
Boris Lyon-Caen, L’écriture de l’insignifiance
Jacques Noiray, Représentation et visualisation
Charles Grivel, Ernest Hello : la vérité photographique des apparences
Georges Molinié, Décrire quoi ?
Daniel Compère, Jules Verne, auteur réaliste ?
Pierre-Louis Rey, Les mots de la guerre
André Guyaux, Puisque réalisme il n’y a pas
Philippe Berthier, Zola coprologue
Antoine Compagnon, Du bruit dans Landerneau
Alexandrine Viboud, L’œuvre critique de Philippe Hamon
Vincent Jouve, Postface. Pour la poétique
Tabula gratulatoria
Avant-propos
Pourquoi vouloir le dissimuler ? Un recueil de « Mélanges » comporte immanquablement une certaine part d’hétérogénéité, mais tire sa richesse de cette diversité même. Bien qu’ils s’efforcent de tenir le pari, incertain, d’un projet commun, ceux qui ont accepté d’écrire dans cette perspective tiennent à affirmer leurs différences, précisément parce qu’en partant d’une origine commune ils entendent souligner la multiplicité des pistes qu’ils peuvent explorer. Leur dissemblance est un signe de fécondité.
Le lecteur qui ouvrira ce volume devra donc accepter cette hétérogénéité constitutive, comme un jeu originel autorisant la découverte ou la surprise. Invités, en quelque sorte, par Philippe Hamon, ses amis dialoguent ici avec lui, passent librement d’un sujet à l’autre, et ont à cœur de mettre en scène une conversation idéale, la plus brillante qui soit.
Et pourtant ce lecteur sera sans doute immédiatement sensible à tout ce qui réunit ces articles. Le premier lien est apporté par des questions que Philippe Hamon a formulées constamment dans son œuvre critique. Il suffisait d’inscrire ces formules sur une page blanche, et l’architecture d’un volume possible commençait déjà à se dessiner. C’est ce que nous avons fait, délimitant ainsi les parties centrales de cet ouvrage : « Du descriptif », « L’effet-personnage », « L’ironie littéraire »... Il ne restait plus qu’à encadrer ce parcours théorique. Logiquement, nous avons choisi une ouverture plurielle – celle des « Poétiques du récit » – et, symétriquement, une clôture, à laquelle nous avons donné pour titre : « Le réalisme en question(s) ».
Il fallait introduire un fil directeur dans ce parcours afin de faciliter le passage d’un point à un autre. Une métaphore s’est imposée, très vite, à notre esprit, celle des « lieux du réalisme ». Le terme de lieu confère à cette métaphore des significations multiples. Il renvoie d’abord à la question de l’espace, qu’il permet d’envisager dans sa dimension physique comme dans une perspective sociologique. Au pluriel, il se charge des valeurs rhétoriques héritées de la tradition grecque et latine. Les lieux (topoï >ou loci) relèvent de l’invention : ce sont les sources intellectuelles auxquelles puise l’orateur pour nourrir son raisonnement, lieux communs fournissant un cadre à la pensée avant que l’usage social ne s’en empare et ne les transforme en paroles banales. D’où la recherche à laquelle ce titre invite : une réflexion sur les modalités de distribution de l’espace, autant que sur les schémas à l’œuvre dans le mécanisme de la représentation.
Comme entrée en matière, nous avions, d’ailleurs, l’exemple de ce lumineux pastel de Philippe Hamon que nous souhaitions reproduire sur la couverture. Mêlant des tonalités vertes et bleues, les lignes claires de ce tableau évoquent un paysage de type méditerranéen dans un cadre dépouillé, où se combinent mer et montagne. Au premier-plan, un vélo, négligemment posé contre une balustrade, se glisse dans le champ de vision ; ajouté là comme pour troubler le calme de cette vision irénique, supposant une présence humaine qui se trouve pourtant effacée, il suggère la possibilité d’un commencement narratif. Cette image-récit représentait une parfaite mise en abyme de notre projet. Grâce à elle, le lecteur pouvait entrer plus aisément dans le livre et, par cette fenêtre ouverte, participer déjà à la démonstration qui lui était proposée. Car, comme le montre bien Philippe Hamon lorsqu’il analyse le fonctionnement du « dispositif naturaliste », dans ce cas précis, ce n’est pas le personnage qui se penche à la fenêtre, mais bien le lecteur curieux, avide de connaissances, acceptant, par cette posture active, la complexité du savoir :
Seul le lecteur, à l’opération, « gagne » une information sur le monde (« effet de réel »), ou sur le personnage : après la « réflexion » à la fenêtre, le lecteur gagne l’histoire du personnage ; après réflexion du miroir, il gagne son portrait ; après passage à l’intérieur, il gagne son habitat ; après accoudement à la fenêtre ou sortie à l’extérieur, il gagne son milieu-extérieur. [1978, p. 109]
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Ce lecteur soucieux de profits intellectuels n’aura qu’à se laisser porter par les indications que lui suggèrent les titres disposés dans la table des matières… Il pourra commencer par méditer sur les lois de construction qui président à l’élaboration de la fiction : il s’interrogera, en particulier, sur les mécanismes de l’écriture zolienne, sur le jeu de ses « mises en abyme » narratives et de ses « collages » documentaires, ou sur la logique de son commentaire métatextuel.
Quittant les zones de l’avant-texte, il aura la possibilité d’entreprendre, au sein des décors urbains de la fin du XIXe siècle, un long voyage immobile qui lui permettra de parcourir les « passages zoliens », de gravir « l’escalier de Pot-Bouille », de se laisser éblouir par les reflets des « vitraux naturalistes », ou d’entrer dans l’intimité des appartements les plus secrets, là où s’exprime « l’âme des choses ». Il découvrira un univers ordonné par l’activité humaine, soumis à l’invention de l’architecte. Il jouira de cette liberté sans entraves qu’autorise la fiction, passant à son gré, en véritable passe-murailles, de l’espace public à l’espace privé. Mais ce voyeurisme absolu n’est pas sans danger. La description, qui dévoile la réalité des apparences dans un univers dont l’homme devient brutalement le centre, invite à poser, sans détour, la question de sa valeur « éthique ».
L’instabilité rhétorique du texte descriptif touche par contamination le personnage, qui, à l’issue du parcours qui nous est proposé, semble se dissoudre, abandonnant sa légitimité de « fonctionnaire » de la démonstration réaliste. Son « identité » est suspecte... Comment en douter, en effet, s’il apparaît, après l’analyse qui en est faite, « déconstruit », « mis en pièces », réduit à une voix inaudible, ou contesté dans son existence même quand la fiction prend plaisir à lui substituer des fantômes ?
Il faut un contrepoids à l’exploration systématique des univers sociaux et à l’excès des taxinomies descriptives. Le discours réaliste l’a trouvé dans une utilisation constante du rire ou de l’ironie, qu’il a héritée des débuts du romantisme, et dont l’expression parcourt tout le XIXe siècle. Cette mise à distance se réalise selon des modalités variées, qu’elle s’accroche à l’art de la caricature, comme chez Töpffer, accompagne la pratique de l’érudition, comme chez Flaubert, ou se contente, avec Zola, d’une allure plus « bonhomme ». Paradoxalement, c’est cette persistance d’une vision ironique qui permet au projet naturaliste de survivre aujourd’hui encore – comme énonciation, et non comme programme littéraire – chez des romanciers tels que Michel Houellebecq ou Christine Angot.
Au bout du compte, surgit un sentiment de morcellement ou d’impuissance. Rêvant naïvement de rivaliser avec l’art pictural, fascinée par l’imaginaire de la photographie, l’esthétique réaliste bute sur la tentation de « l’insignifiance ». A-t-elle les moyens de nous faire croire, avec Jules Verne, à l’expression d’un imaginaire scientifique, ou, en compagnie d’Henri Barbusse, à la restitution d’une véritable parole populaire ? On peut en douter. En tout cas, la réception critique ne l’a jamais encouragée dans ses audaces : lecteurs aveugles, les contemporains de Baudelaire, de Flaubert ou de Zola ont multiplié les procès d’intention à leur égard, et dénoncé leur goût pour la vulgarité ou leur recherche du nauséabond. Quel projet assumer, en définitive ? Renoncer à la représentation de la réalité sociale et s’en tenir à l’examen du langage, à ce qu’il traduit de notre présence au monde ? Effectivement, c’est peut-être le seul dessein qui puisse aujourd’hui nous convaincre, dans l’ère médiatique au sein de laquelle nous vivons désormais : celui qui animait Proust, lorsqu’il s’efforçait de nous faire entendre, jusque dans ses moindres échos, la vanité des propos mondains et leur rumeur médisante.
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Un recueil de « Mélanges » est doublement une entreprise collective. Par les contributions qu’il rassemble. Et par les énergies qu’il doit fédérer pour que le livre qui a été imaginé prenne forme.
Qu’on nous permette de remercier, au seuil de cet ouvrage, tous ceux qui ont favorisé sa réalisation.
Nous exprimons notre reconnaissance aux institutions qui nous ont apporté généreusement leur aide financière : la Société littéraire des Amis d’Émile Zola, le CIRLLLEP de l’université de Reims-Champagne Ardenne, les Amis du Centre de recherche sur la lecture littéraire de Reims, le Centre de recherche « Poétique, génétique et informatique du texte romanesque » ainsi que le Conseil scientifique de l’université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle.
À Sophie Moirand et Michèle Leprettre qui ont suivi si attentivement les étapes de cette édition, à Anne-Élisabeth Halpern et Christian Lescuyer qui en ont assuré avec efficacité la réalisation matérielle, s’adresse enfin toute notre gratitude.
Alain Pagès
- Date de parution : septembre 2005
- Dimensions : 22,4 cm x 14 cm
- ISBN-10 : 2-913764-25-8
- Nombre de pages : 482
- Poids : 640g
- Reliure : Broché